Ev Zin n°14 - Octobre 2022 | L'automne absent

Calendrier solaire ou lunaire ?

L'établissement d'un calendrier chez les grecs anciens procède de la volonté d'organiser la cité et plus généralement de mettre en ordre le monde en divisant le temps en unités plus ou moins stables et utilisées comme points de repère. Mais cet accomplissement qui marque un progrès notable a été réalisé de façon progressive et différente selon les régions de Grèce et les cités.

À l'origine, le point de repère était la lune et son cycle, mais la différence de onze jours entre calendrier lunaire et calendrier solaire a bien vite posé un problème de cohérence en rendant impossible le maintien d'une coïncidence entre les célébrations rituelles à dates fixes. Des solutions différentes selon les cités furent appliquées - intercalations de mois ou de jours supplémentaires -  pour s'adapter à leurs rythmes propres ce qui aboutit à une multiplication de calendriers sans concordance entre eux. Aussi, le calendrier lunaire demeura la norme à la campagne, auprès des paysans pour qui la référence à la lune et aux étoiles était plus pertinente que la distribution en douze mois d'un calendrier peu stable. Sa distribution caractéristique du temps annuel reflétait une conception particulière marquant chaque moment important de la vie paysanne.

(1) Figurine en terre cuite de laboureur. Thèbes - Béotie, entre 600 et 575 av. J.-C.
Exposée au musée du Louvre.

La disparition … De l'automne ! 

L'année constitue une période cyclique divisée en époques bien distinctes d'après le travail qui correspond à chacune. Ainsi, et contrairement à notre calendrier moderne divisé en quatre saisons de trois mois chacune, le calendrier agricole ancien se borne à trois saisons et la limite entre l'une et l'autre est souvent dessinée de façon imprécise. Ce qui importe pour le paysan ce sont les tâches qui doivent être réalisées dans chaque saison - d'un côté labourer et semer et de l'autre récolter - tâches qui correspondent aux deux grandes périodes du mythe de Déméter. Cependant, aucun rituel ou calendrier ne propose une année divisée en deux saisons (été, hiver) mais une triade avec l'apparition du printemps, saison intermédiaire entre la germination et la cueillette, entre l'hiver rempli des fruits de l'été passé et la récolte de l'année en cours. Ainsi, le calendrier solaire à quatre saisons quelque peu artificielles cohabitera longtemps avec le calendrier lunaire et mythique proposant une division tripartite de l'année dans laquelle l'automne n'a pas place. Sans fonction spécifique car sans tâche appropriée - une fois les récoltes achevées, le cycle végétal est lui aussi terminé et ne reprendra que lorsque le grain est enterré et meurt pour germer -  l'automne apparaît aux grecs anciens comme un état intermédiaire et l'idée de décadence de la nature qu'il véhicule n'était pas très populaire.

Les 3 "saisons" dans la mythologie grecque

Cette division en trois saisons apparaît en filigrane dans le mythe œdipien lors de la confrontation du héros avec la Sphinge et son énigme. Énigme qui fait clairement allusion aux trois saisons de l'homme mises en parallèle avec les trois saisons de l'année paysanne : le printemps avec un homme en devenir mais à la démarche encore hésitante et des semis pleins de promesses ; l'été qui voit l'homme sur ses deux jambes et les récoltes remplir les greniers ; l'hiver enfin et un homme s'aidant d'une canne pour soutenir ses jambes sans vigueur à l'image de la nature faiblissante.

(2) Œdipe et la sphinge. Poterie en terre cuite, 460 av. J.-C, Athènes. 

Une seconde énigme, rarement évoquée fut ensuite proposée à la perspicacité du fils de Laïos et de Jocaste et elle aussi fait référence à la mesure du temps : "Il y a deux sœurs, l'une donne naissance à l'autre et elle, à son tour donne naissance à la première. Qui sont ces deux sœurs ?"

Réponse : le  jour et la nuit ! Les deux mots, respectivement  ἠμἐρα (Emera - le jour) et νὐξ (Nyx - la nuit) étant féminins en grec ancien.

Enfin et en guise de conclusion, notons l'anticipation des anciens paysans grecs avec leur année à trois saisons à l'heure où les météorologistes nous annoncent la disparition de l'automne sous l'effet du réchauffement climatique !

"Ev Zin" = "La bonne vie"
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Vignette et image principale : Anders Jildén on Unsplash / Polina Rytova on Unsplash / Andrey Bond on Unsplash
(1) © Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons
(2) The J. Paul Getty Museum, Villa Collection, Malibu, California, Gift of Edwin A. Lipps, 82.AE.143